Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Chiapas, la résistance

Caracol III La Garrucha

Gloria Muñoz Ramirez

lundi 8 novembre 2004

Ce texte est la troisième partie de la traduction française de l’enquête de Gloria Muñoz Ramirez après une année d’existence des conseils de bon gouvernement dans les cinq Caracoles. "Chiapas, la resistancia" est paru dans le supplément de La Jornada du 19 septembre 2004 et a été publié par la suite dans le numéro 23 (de septembre) de Rebeldía.

Chiapas, la résistance
Caracol III La Garrucha

La technologie appliquée à la communication est arrivée dans la forêt
Lacandone de la main des zapatistes. Dans toute la cañada de Patiwitz mais
aussi sur le reste du territoire en résistance, le café Internet
Cyberpozol, tenu par les bases d’appui, est le seul lieu où l’Internet
soit accessible publiquement. On y trouve, outre l’accès à Internet, du
café de la coopérative en résistance Smaliyel, la musique de la nouvelle
et déjà abondante discographie zapatiste, des vidéos, des paliacates, de
l’artisanat, de l’épicerie, de l’essence et de quoi manger.

La boutique-café-Internet-réfectoire Smaliyel se trouve dans le Caracol
Resistencia hacia un nuevo amanecer ("Résistance vers un nouveau lever du
jour"), dans la première zone rebelle ouverte aux journalistes en 1994.
C’est d’ici que le monde entier a eu connaissance des peuples indiens qui
s’étaient armés et insurgés, de leurs raisons et de leurs douleurs.
Aujourd’hui, plus de dix ans après, le paysage est différent.

La première fois que nous, les journalistes, nous sommes arrivés à La
Garrucha, non seulement il n’y avait pas Internet mais il n’y avait même
pas d’électricité. La clinique autonome n’existait pas, ni sa consultation
dentaire, ni son laboratoire d’analyses cliniques, ni l’ambulance ;
l’école ne fonctionnait pas et une bibliothèque était inimaginable, pas
plus que l’église du village, la seule qui se trouve à l’intérieur d’un
Caracol zapatiste. Après l’assassinat de Luis Donaldo Colosio, en 1994, le
futur est devenu incertain, le territoire s’est fermé et, ensuite, les
projecteurs des médias ont changé de cañada.

Miguel, petit garçon d’à peine trois ans, déambule maintenant dans la
boutique zapatiste et affirme que Spiderman "est un compa". Quand passe le
convoi militaire quotidien, Miguel change d’identité et devient cet
homme-araignée qui, caché derrière un bougainvillier, lance ses filets sur
les soldats. Sa maman le gronde et lui, en pleurant, dit sans hésiter
qu’il l’accusera devant le conseil de bon gouvernement.
Les patrouilles militaires que voit passer Miguel n’existent pas
officiellement mais ici, en tout cas quand nous étions là, elles sont
passées quatre fois par jour. Une file de camions pleins de soldats armés
en position de combat constitue la routine de ces terres militarisées.

Moises, l’indigène tzeltal qui recevait la presse il y a plus de dix ans,
est maintenant un vidéaste autonome. Avec une caméra mini-dv, il
enregistre les images qu’il édite ensuite sur un Mac. Pour l’instant, il
travaille à la phase finale d’un film vidéo sur les femmes zapatistes et
il dispose déjà d’une maison en blocs et en ciment destinée à un projet
général de moyens de communication.

Comme sur le reste du territoire en résistance, une campagne de
vaccination se déroule ces jours-ci dans tous les villages. Les mamans
défilent avec leurs enfants sur les bras dans la clinique autonome qui
fonctionne depuis 1995.

La Croix-Rouge internationale, qui opérait dans la communauté de San
Miguel depuis 1994, a abandonné la zone. "Ils disent qu’ici il n’y a pas
de guerre, qu’il faut des morts pour qu’ils restent", accusent les bases
d’appui. Auparavant, c’était l’organisme international qui s’occupait des
campagnes de vaccination. Aujourd’hui, le responsable, c’est le
gouvernement autonome zapatiste et la Croix-Rouge ne s’occupe que de
quelques communautés.

Afin d’organiser le service de santé pour l’ensemble des bases d’appui,
toutes les familles zapatistes de cette zone ont un papier ou une carte de
santé qui les identifie dans leur résistance. En présentant ce document,
elles ont gratuitement accès à la consultation et à la médecine.

Dans un petit laboratoire d’analyses cliniques fonctionnel, tenu par des
promoteurs de santé spécialisés, on pratique des examens sanguins,
d’urine, de selles et d’autres analyses basiques. "Ce que nous faisons le
plus, ce sont des examens de grosse goutte, parce que dans cette région,
il y a beaucoup de cas de paludisme et de tuberculose", affirme un des
indigènes chargé du laboratoire.

La clinique peinte en rose mexicain, est recouverte de fresques qui
évoquent la résistance. "Ici, nous semons avec le vent de l’espoir, de la
vie et de la dignité", lit-on sur une fresque dont les figures principales
sont évidemment un escargot et le visage de Zapata.

Récemment agrandi et repeint, le centre de santé autonome assure à peu
près trente consultations par jour. Les maladies parasitaires, le
paludisme, les infections de la peau et la tuberculose sont quelques-uns
des maux les plus fréquents de la forêt tseltale. Il y a aussi une
consultation dentaire, une pharmacie et des chambres d’hospitalisation
inaugurées depuis peu.

Comme dans toutes les cliniques zapatistes, les indigènes du PRI sont
aussi reçus par les promoteurs autonomes. "Nous faisons payer 25 pesos aux
priistes pour la consultation, médicaments et tout compris, c’est ce que
cela nous coûte", expliquent les responsables.

Les quatre communes autonomes de la forêt tzeltale sont Francisco Gómez,
San Manuel, Francisco Villa (le seul nom qu’on trouve dans deux zones) et
Ricardo Flores Magón. Le service de santé en résistance est présent dans
chacun des quatre et, rien qu’à Francisco Gómez, soixante-dix-huit
promoteurs de santé soignent les maladies les plus courantes qu’on trouve
dans ces villages.

Malgré les avancées, le conseil de bon gouvernement El Camino del futuro
("Le chemin du futur") reconnaît que la situation est loin d’être idéale.
La commune Francisco Villa, par exemple, ne dispose pas de clinique et
encore moins d’une pharmacie, et elle est dans l’ensemble beaucoup moins
développée que la commune Ricardo Flores Magón. Le travail du conseil de
bon gouvernement consiste précisément à équilibrer le développement.

La clinique centrale de la zone est soutenue par une organisation
italienne et Médecins sans frontières a procuré l’ambulance. Les
promoteurs ne touchent pas un sou de salaire, ils sont juste aidés pour se
nourrir. Souvent, affirment les autorités autonomes, les promoteurs ne
peuvent pas assister aux cours par manque d’argent pour payer le
transport : "Ils rendent un service à la communauté, mais nous pensons
qu’ils ont besoin de plus de soutien pour faire leur travail."

Pour résoudre ce problème et d’autres, il existe un représentant de la
santé dans chacune des quatre communes autonomes. Ils se réunissent tous
les deux mois dans le but de coordonner le travail de toute la zone.

La véritable éducation

Malgré les retards dans la construction des écoles et dans la préparation
des promoteurs, les quatre communes disposent d’une éducation autonome
dans leurs villages. "Notre éducation, affirment les membres du conseil,
vient de la pensée des villages. Rien ne vient de l’extérieur et elle n’a
rien à voir avec l’éducation officielle qui ne respecte pas l’indigène ni
son histoire."

Les communautés de la forêt tseltale disposent de deux centres de
formation de promoteurs de l’éducation, dont un a été inauguré il y a peu
dans la communauté La Couleuvre, ralliée à la commune autonome Ricardo
Flores Magón et l’autre à La Garrucha, qui appartient à la commune de
Francisco Gómez.

Julio, membre du conseil autonome de Ricardo Flores Magón, explique le
sens de l’éducation autonome zapatiste : "Nous cherchons à mettre en
relation l’éducation avec les treize exigences de la lutte zapatiste. Ce
n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui nous dit comment les mettre en
relation. C’est nous qui vivons ici, qui souffrons, qui luttons ici. Alors
c’est nous qui savons comment tout est lié. Le peuple a la connaissance,
il sait beaucoup de choses et c’est là que nous repêchons les
connaissances et les savoirs."

Un des objectifs principaux de l’éducation, explique un autre membre du
conseil de bon gouvernement, est de fortifier l’identité indigène et de
répondre aux besoins des villages : "Cela n’a pas de sens d’enseigner aux
indigènes comment être indigène ; cela, on le sait déjà. Ce dont nous
avons besoin c’est de connaître notre histoire, notre passé... C’est le
but de la véritable éducation."

"Dans nos écoles, ajoute-t-il, on s’intéresse aussi à la situation
nationale, à la situation de notre lutte, à la vie de nos villages. Ce qui
est essentiel dans notre éducation, c’est de ne pas sortir de la politique
ni du chemin de la lutte zapatiste, de respecter chaque communauté, sa
langue et tout. Les promoteurs de notre éducation réfléchissent au
problème du déplacement des villages des Montes Azules, à ce que veut
faire le gouvernement ; au plan Puebla-Panamá ; et aussi aux problèmes que
posent les semences transgéniques, les maquiladoras, la contre-offensive
politique du gouvernement, la résistance de nos peuples, les Accords de
San Andrés, la guerre de basse intensité ou la manipulation du
gouvernement, qui achète les peuples avec des programmes comme Procede,
avec des déjeuners scolaires ou par des aides à l’agriculture. Nous
examinons tout cela dans nos écoles autonomes."

Le promoteur ou la promotrice est choisi par le village, qui lui demande
s’il veut bien faire ce qu’on attend de lui. "Il peut accepter, mais il
peut aussi dire non, parce qu’il a un autre travail, comme d’autres
responsabilités, parce que l’autonomie demande beaucoup de travail, pas
seulement dans l’éducation", explique Hortensia, elle-même promotrice.

Il y a des promoteurs, explique-t-elle, "qui commencent ce travail sans
savoir ni lire ni écrire. Ceux-là commencent à partir de rien... Certains
ont commencé très jeunes comme promoteurs, ils ont grandi et appris ici et
puis ils sont rentrés chez eux. Il y a aussi les volontaires, ceux qui ne
sont pas élus par le village mais qui se présentent d’eux-mêmes. Il y en a
qui ne savent rien, qui ne savent pas parler en castillan ni rien, ici ils
apprennent tout."

Comme dans toutes les zones indigènes, zapatistes ou non, les femmes
souffrent toujours du retard et de l’inégalité. La majorité des promoteurs
et des élèves des écoles autonomes sont encore des hommes parce que,
explique Hortensia, "cela coûte de changer les choses. Dans nos villages,
les femmes qui s’absentent de chez elles pour participer aux formations
sont l’objet de moqueries et on se moque aussi des maris et des parents,
en leur demandant pourquoi ils ont laissé faire leur fille, en leur disant
qu’elle ne fait pas de bonnes choses ou en inventant d’autres sottises,
parce que, selon la coutume, la femme ne quitte pas son village. Mais nous
ne nous perdons pas le moral, même si on se moque de nous ou qu’on invente
des mensonges. Comme promotrices, nous devons suivre le chemin. Nous
devons donner plus envie de voir jusqu’où nous allons, puisque c’est
vraiment notre droit. Si nous abandonnons notre travail, cela veut dire
que la moquerie nous a vaincues".

"Les femmes, insiste-t-elle, sont les premières à défendre leur village
quand l’armée arrive, ce sont les premières à faire face, alors si elles
sont capables de défendre, elles sont aussi capables d’étudier. Nous ne
pouvons plus garder le silence parce que, comme ça, la situation ne change
pas. Nous sommes ainsi en train de créer une éducation très différente."
Et c’est précisément une femme, appelée Rosalinda, qui a été chargée du
discours politique du premier anniversaire de ce conseil de bon
gouvernement : "Nous n’avons plus à demander la permission pour nous
gouverner. Nous avons vu que nous pouvons le faire nous-mêmes et nous
avons beaucoup appris pendant cette première année de travail. Nous sommes
là. Nous ne nous sommes pas vendus." Ce furent les paroles de la seule
femme qui fasse partie du gouvernement autonome.

Location de bicyclettes et atelier de fabrication de chaussures

Une donation de bicyclettes est arrivée au Caracol Resistencia hacia un
nuevo amanecer. Aujourd’hui, au bout du Caracol, un local autonome propose
un service de location et de réparation de bicyclettes dont les bénéfices
reviennent à la commune.

Il y a aussi un atelier de fabrication de chaussures, qui fonctionne
depuis quelques années : l’Atelier libre de l’art de la chaussure
Francisco Gómez. Sur les murs de l’atelier, on a peint une grande fresque
de Zapata avec un livre ouvert où on peut lire : Imagination, créativité,
informalité, improvisation...

Au fond du troisième Caracol de la résistance zapatiste, il y a un vieux
moulin à café et, sur un côté, le campement pour la paix qui reçoit toute
l’année des centaines de personnes venues du monde entier. Trois
coopératives de femmes, un dortoir général, deux épiceries, la clinique,
une école et une bibliothèque complètent les installations.

C’est ainsi que les zapatistes construisent leur autonomie. Ce processus,
comme dit Julio, "vient de notre histoire, de nos propres coutumes, de
notre système de justice, de nos cultures... Un processus qui est comme
celui de marcher seul. Nous savons bien marcher, bien que nous nous
trompions parfois ; mais ces erreurs viennent de nous, ce ne sont pas
d’autres qui nous les imposent", conclut l’autorité autonome.

Les traductions ont été faites par Martine, Chantal, Christine, Antoine,
Michelle et Julio ; la relecture par Éva. Le CSPCL les remercie
chaleureusement.