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Il y a 25 ans, quand les zapatistes nous proposèrent d’organiser des rencontres intercontinentales

mercredi 13 janvier 2021

Il y a 25 ans, feu le sous-commandant Marcos écrivait à l’Europe et au Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte pour rendre public la "Première Déclaration de la Realidad" et proposer la "Première Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme"...

Aux participants à la Ve Rencontre européenne de solidarité avec la rébellion zapatiste

Comité de solidarité avec le peuple du Chiapas à Lutte.

Armée Zapatiste de Libération Nationale.

Mexique, janvier 1996.

Destinataires : Les participants à la Ve Rencontre européenne de la solidarité avec la rébellion zapatiste.

Paris, France.

"Cela semblait idiot à Alicia, alors elle n’a rien dit, mais s’est plutôt précipitée vers la Reine Rouge. À sa grande surprise, elle l’a immédiatement perdue de vue et s’est retrouvée à marcher de nouveau devant la porte.

Quelque peu irritée, elle revient sur ses pas et, après avoir cherché partout la Reine (qu’elle a finalement vue au loin), elle pense qu’à cette occasion elle va tenter le plan de marcher dans la direction opposée.

Tout s’est passé de la meilleure façon possible. Elle n’avait pas marché depuis une minute quand elle s’est retrouvé face à face avec la Reine Rouge, et devant la colline même qu’elle désirait tant escalader.

D’où venez-vous ? -a demandé à la Reine Rouge : "Et où allez-vous ? Écoutez, parlez clairement et ne remuez pas les doigts tout le temps.

Alice écoutait tout ce qu’elle lui disait et expliqua, aussi clairement que possible, qu’elle s’était égarée.

- Je ne comprends pas ce que vous voulez dire quand vous parlez de votre chemin", dit la Reine, "car tous les chemins ici sont les miens.

"De l’autre côté du miroir. Et ce qu’Alice y a trouvé".
Chapitre II ; "Le jardin des fleurs vivantes".

Lewis Carroll.

Frères :

Au nom de mes camarades, les hommes, les femmes, les enfants et les anciens qui forment l’Armée zapatiste de libération nationale, je vous écris pour vous saluer et pour saluer la célébration de ce Cinquième rassemblement européen de solidarité avec la rébellion zapatiste.

Vous devez savoir que nous n’avons pu envoyer aucun de nos camarades zapatistes et que personne ne représente l’EZLN lors de ce 5ème Rassemblement. Nous sommes actuellement dans le processus interne de consultation des communautés indigènes zapatistes pour répondre aux propositions d’accords conclus à la table de dialogue de San Andrés de Sacamch’en de Los Pobres.

C’est pourquoi il nous a été impossible d’assister à votre cinquième réunion. Nous n’avons pas non plus pu (et nous ne le ferons pas) demander à quiconque de vous apporter notre voix. C’est pourquoi nous devons utiliser à nouveau les moyens épistolaires pour que vous nous écoutiez.

Vous trouverez ci-joint la "Première Déclaration de la Realidad", qui appelle à la célébration de la Première Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme. Nous vous demandons de la lire et, si vous êtes d’accord, de la signer avec l’EZLN afin que, unis, nous puissions convoquer l’humanité à cette réunion et nous rencontrer.

Nous savons que vous avez de nombreuses questions à traiter lors de votre réunion, mais nous vous prions de prendre un peu de temps pour cette question de la réunion que Durito appelle "intergalactique".

Sur ce point, nous voulons vous dire ce qui suit :

Nous proposons que l’Assemblée préparatoire de la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme du continent européen se tienne la première semaine d’avril 1996 à Berlin, en Allemagne.

Nous vous disons également qu’il ne s’agit que d’une proposition, que nous acceptons bien sûr si vous choisissez un autre lieu. Dans tous les cas, que ce soit à Berlin ou ailleurs, nous vous demandons de soutenir le groupe qui sera le lieu de la réunion. Nous devons commencer à imposer une nouvelle culture politique où l’unité a un effet. Et quel meilleur signe de cette nouvelle politique que cette assemblée (et celles des autres continents) soit le résultat d’un travail international et pas seulement du pays hôte. N’est-ce pas une tentative de former l’internationale de l’espoir ? Eh bien, faisons également tomber les frontières dans un autre sens.

J’aimerais expliquer pourquoi nous proposons que le siège de l’assemblée préparatoire européenne soit à Berlin. Je pourrais dire que j’ai l’intention de me faire envoyer par le CCRI en tant que délégué et que j’ai toujours voulu connaître l’Allemagne, ou que c’est une stratégie pour m’encourager à être narcissique (à cause des "cadres"). C’est vrai, mais ce n’est pas la raison fondamentale.

Comme le dit la Première Déclaration de la Réalité, le pouvoir nous a vendu un mensonge comme étant vrai, le mensonge de notre défaite. Sans se soucier beaucoup de nous vaincre réellement, le Pouvoir s’est consacré à nous faire croire que nous sommes vaincus. Qui ? Nous, vous, tous ceux qui pensent qu’un monde où la démocratie, la liberté et la justice quittent leur confortable lieu d’utopies et de bibliothèques pour venir vivre (et se battre, ce qui est une belle façon de vivre) avec nous est possible et nécessaire.

Sur le mensonge de notre défaite, la puissance a construit le mensonge de sa victoire. Et la puissance a choisi la chute du mur de Berlin comme symbole de sa toute-puissance et de son éternité. Sur les ruines du mur de Berlin, la puissance a construit un mur plus grand et plus fort : le mur du désespoir.

Le mur est toujours là, il fait partie de l’histoire mais il ne signifie pas la défaite de l’espoir ou la victoire du cynisme. Il y a un fragment du miroir brisé de Berlin dont nous avons hérité en tant qu’histoire.

Alors qu’Alice découvre que pour atteindre la Reine Rouge, elle doit faire marche arrière, nous devons nous tourner vers le passé afin d’aller de l’avant et d’être meilleurs. Dans le passé, nous pouvons trouver des moyens d’aller vers l’avenir. Et nous, vous, n’avons pas de plus grandes aspirations que l’avenir. C’est pourquoi le passé est important. Si quelque chose de nouveau naît, c’est parce que quelque chose de vieux meurt. Mais dans le nouveau, l’ancien s’étend et peut ronger l’avenir si on ne le limite pas, si on ne le connaît pas, si on ne lui parle pas, si on ne l’écoute pas, bref, si on cesse d’en avoir peur.

Un symbole ? Oui, un symbole. Pourquoi ne pas commencer quelque chose de nouveau à partir de l’ancien ? Qu’avons-nous à perdre ? Rien, sauf la peur, la honte, les regrets... et les cauchemars.

Pourquoi ne pas commencer par un symbole ? Pourquoi ne pas recommencer à marcher là, dans le symbole que le Pouvoir maintient comme la fin de l’Histoire et l’éternité de son mandat ? Pourquoi ne pas prendre dans nos mains ce morceau de miroir brisé ? Peut-être nous ferons-nous mal aux mains, mais peut-être pourrons-nous voir, à travers l’une des fissures de son reflet, le verre que nous cherchons, celui que nous désirons, celui que nous méritons...

Berlin. La première semaine d’avril de l’année 96. 7 ans plus tard. 7 fois 7 marche le 7. Berlin.

Pourquoi pas ?

Eh bien, je réitère nos salutations et nos souhaits pour le succès de votre 5e Rencontre européenne de solidarité avec la rébellion zapatiste.

D’accord. Santé et que nous puissions, ensemble, trouver la Reine Rouge.

Des montagnes du sud-est mexicain.
Sous-commandant Insurgé Marcos.

Mexique, janvier 1996.

PS. Cela alerte l’OTAN. Durito n’a pas abandonné son idée de débarquer et de commencer la conquête de l’Europe. Il m’a invité, mais j’ai beaucoup de doutes. Le bateau qu’il prépare ressemble trop à une boîte de sardines. D’ailleurs, j’ai peur qu’il veuille m’emmener avec lui pour le servir comme rameur, et pour moi, toute humidité qui n’est pas féminine me donne le vertige...