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Mexique - avorter en sécurité, une revendication indigène

Gabriela Rodríguez

jeudi 4 novembre 2004

Mexique - avorter en sécurité, une revendication indigène

Ceux qui pensent que les droits reproductifs des femmes ne sont pas une priorité du mouvement indigène mexicain n’ont jamais parlé avec les dirigeantes des différentes régions du pays. L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), sans aucun doute un des mouvements politiques existant les plus intéressants, est reconnu comme un soutien important du mouvement féministe indigène national selon les dires récents d’un groupe de dirigeantes des États de Guerrero, Oaxaca, Veracruz, Chiapas, Chihuahua, Michoacán et Puebla. Ces femmes prennent position au sein des entités de décisions et développent un agenda basé sur l’égalité de genre et la promotion des droits sexuels et reproductifs.

Avec une fraîcheur et une clarté enviables, une des dirigeantes tzotziles [ethnie maya, ndlr] me disait que les femmes indigènes d’aujourd’hui décident de combien d’enfants elles veulent avoir et quand. Elles luttent également contre la mortalité maternelle, c’est-à-dire qu’elles se battent pour diminuer le nombre de décès de femmes enceintes, en couches ou lors d’un avortement :

« Bien que ce fait soit nié, l’avortement existe au Chiapas, qu’il soit provoqué ou spontané. Bien que certains voient cela d’un mauvais œil, ils disent que c’est une punition divine alors que la punition c’est d’avoir 10 enfants qui, si la maman meurt, deviennent orphelins. Le cas d’une jeune fille de 23 ans en dit long. Cette jeune fille avait déjà six enfants et, quand elle s’est rendu compte que ses règles n’arrivaient pas, elle s’est mise à porter des choses lourdes, à faire l’aller et retour entre le puit et sa maison avec des grands bidons d’eau, à se jeter d’un arbre pour donner des coups à son ventre. Un jour elle est rentrée chez elle en saignant, elle saignait à flots. Elle a tout lavé et est restée comme cela plusieurs jours jusqu’à ce qu’elle ait de la fièvre : elle était entre la vie et la mort. Ensuite, elle a décidé d’aller à l’hôpital de Comitán, mais ils n’ont pas voulu s’occuper d’elle parce que c’est mal de se faire avorter (...). Ils ont dû s’en occuper finalement après les pressions de la famille et, à partir de ce moment, ils ont voulu lui faire subir de force une ligature des trompes. Ils ont menacé son époux, ils lui ont dit que sa femme allait mourir s’ils ne l’opéraient pas. Il a finalement accepté mais ils l’ont regretté après parce qu’elle voulait huit enfants et qu’elle n’en avait eu que six. La majorité des femmes ont recours à ce genre de techniques dangereuses : porter des choses lourdes ou se jeter d’un arbre, mais elles connaissent aussi des plantes abortives : la rue [1], le romarin, la feuille d’avocatier, la crementina del nopal qui sont efficaces si elles sont bien utilisées. Ce sont les femmes qui connaissent et qui cherchent des méthodes pour avorter. Elles ont aussi recours au citotec (célèbre médicament abortif) qui se trouve en pharmacie mais c’est très cher, entre 400 et 800 pesos pour deux pilules, et ce n’est pas mieux que les herbes ».

On estime que chaque année ont lieu dans le monde 44 millions d’avortement. En Europe du Nord, au Canada, aux États-Unis et dans certains pays d’Asie, les avortements sont légaux et sont réalisés avec une technologie sûre par des professionnels diplômés. En Amérique latine, on pratique 4,2 millions d’avortements clandestins par an dans des conditions dangereuses. Seul Cuba a dépénalisé l’avortement.

À l’inverse de ce qu’affirme sans la moindre preuve le leader Pro-vida Jorge Serrano Limón -accusé de détournements de fonds pour financer ses campagnes de promotion des enfants non désirés y compris pour les femmes violées - un des grands avantages de la dépénalisation de l’avortement est la réduction des problèmes de santé physique et mentale, et surtout, des décès suite à un avortement. Les différences sont énormes : en Afrique, les décès suite à un avortement sont de 13 %, en Asie de 12 %, en Amérique latine de 21 % ; en Europe du Nord, le pourcentage atteint 2 % et aux États-Unis et au Canada, la mortalité maternelle n’atteint pas les 1 %.

Il y a 14 ans, lors de la cinquième rencontre féministe latino-américaine et des Caraïbes qui a eu lieu à San Bernardo, en Argentine, en 1990, des leaders boliviennes, brésiliennes, colombiennes, chiliennes, salvadoriennes, guatémaltèques, mexicaines, nicaraguayennes, paraguayennes et péruviennes ont décidé d’instaurer le 28 septembre comme le jour de la dépénalisation de l’avortement en Amérique latine et dans les Caraïbes. La date a été choisie en référence à un évènement historique : le 28 septembre 1888, le Brésil décrétait l’abolition de l’esclavage des fils et des filles nés d’une mère esclave. Cette disposition pris le nom de « liberté des ventres ». De manière symbolique, la campagne actuelle pour la dépénalisation de l’avortement entend que chaque 28 septembre soit la journée dédiée à la liberté des ventres des femmes de la région. Pour que ce soit elles qui choisissent, librement et de manière responsable, la poursuite ou l’interruption d’une grossesse. Depuis lors, de nombreuses femmes ont participé à cette bataille pour que l’on ne pénalise pas celles qui décident d’interrompre une grossesse non désirée.

Des dirigeantes indigènes se joignent à cette campagne puisque, comme le disait l’une d’entre elles : « Il est temps de prendre conscience du fait que l’on peut sauver de nombreuses vies ! La femme qui ne veut pas d’enfants remue ciel et terre pour ne pas en avoir parfois au péril de sa vie ».

Source : La Jornada, 1er octobre 2004.

Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.


[1Plante aux vertus abortives reconnues depuis l’antiquité. Également appelée herbe à la belle-fille, herbe de grâce, péganium ou rue odorante (N.d.T.)